Ils sont fous, ces chiffres romains !

Les exemples pas si classiques de Breguet, Cartier et Roger Dubuis

Dans mon article précédent, je mettais l’accent sur la manière dont la typographie des chiffres participe à la construction des valeurs d’une marque horlogère. En plus de la forme des chiffres, on peut citer 2 choix majeurs : pas de chiffres (chiffres éludés ou remplacés par des indexes), ou chiffres arabes ou romains.

C’est à ce dernier choix que cet article est consacré. Certes, on pourrait penser que les chiffres romains sont toujours choisis pour évoquer le classicisme… et l’on se tromperait. Ils ont la particularité d’être très graphiques : ce ne sont jamais que des bâtons avec différentes inclinaisons et agencements.

Faciles à lire même lorsqu’ils ont la tête en bas, ils tournent autour de l’axe des aiguilles sans devoir changer d’orientation en cours de route. Notez le chiffre 4 que l’on écrit alors volontiers avec quatre bâtons plutôt que IV pour éviter toute confusion avec le 6 (VI).

Voyons comment trois marques horlogères personnalisent les chiffres romains.

 

Breguet

la perle de précision

Fins, étroits et espacés, les chiffres romains Breguet sont ceux d’un instrument de mesure, dans toute sa dimension historique. Les différents caractères d’un nombre – I, V, X – sont liés par leurs empattements, de sorte que chaque nombre forme une unité compacte. Petite silhouette noire, il fait sobrement écho aux fantasques décors guillochés : le chiffre Breguet est une émanation de la finesse et de la précision, un petit bijou de classicisme aux proportions idéales. On notera la dimension humaniste du lettrage, qui, grâce à ses empattements légèrement irréguliers et aux extrémités arrondies fait nécessairement penser au travail manuel. Le grand espace qui sépare chaque numéro témoigne de la précision de l’outil de mesure, l’aiguille ne pouvant pointer le nombre que pendant un court laps de temps.

 

Cartier

le chic ostentatoire

Pour la marque à la panthère, « shape your time » n’est pas un simple slogan. Icône de la marque, le modèle Tank présente des chiffres romains fortement inclinés, comme les rayons d’un soleil autour de l’axe des aiguilles, soulignant sa forme rectangulaire caractéristique. Ostentatoires, les chiffres Cartier sont repérables au premier coup d’œil grâce au contraste très appuyé entre des pleins très noirs et des déliés filiformes. La géométrisation de l’art déco est passée par là, proposant une relecture graphique décomplexée des chiffres romains.

Les versions squelettées de la Rotonde sont d’ailleurs un bel exemple de cette réinterprétation graphique des chiffres romains : ils deviennent éléments architecturaux tels les profilés métalliques d’une minuscule verrière typographique derrière laquelle le mouvement est en cage.

 

Roger Dubuis

la cadence jazzy

On passe un nouveau cap en direction de l’abstraction du chiffre romain chez Roger Dubuis. Sans empattements, les éléments I, V, X se rapprochent plus encore de simples indexes. Mais ça n’est pas tout : plus épais vers l’extérieur du cadran que vers l’intérieur, le chiffre est volontairement déformé, comme le serait un reflet au Palais des Glaces, pour épouser au mieux le cadran circulaire. Sa forme est particulièrement étirée sur les modèles Dame. L’on se détache alors de sa lecture pour ne plus en retenir que le rythme graphique, et c’est l’aspect saccadé du temps qui apparaît. Les variantes noires et blanches de l’Excalibur évoquent d’ailleurs, dans une cadence jazzy, les touches d’un piano.

En horlogerie comme dans tous les domaines, la typographie est essentielle. Les bons choix typographiques résolvent des problématiques de lisibilité, convoquent des valeurs qui renforcent le positionnement de la marque et lui confèrent son unicité.