Montre-moi tes caractères, je te dirai quelle marque horlogère tu es

En communication, on a coutume de dire que 80% du message n’est pas concrètement formulé : c’est la gestuelle, le ton de la voix, la posture, qui transmet la plus grande part de l’information. Dans le message écrit, il en va de même : la police de caractère (ou « typographie ») donne le ton du message.
Dans l’horlogerie haut de gamme, les cadrans mettent en scène des chiffres qui participent à nous emmener dans l’univers de la marque et le concept du produit. Romains ou arabes, décalques ou appliques, ils ne sont pas que matière : ils sont aussi formes. Toujours en équilibre entre technicité et poésie, les marques horlogères font des choix typographiques significatifs, dont je vous propose de découvrir quelques exemples.

Deux stratégies

Pour certaines marques, la typographie du cadran est une réelle signature, tandis que d’autres en changent complètement selon le modèle.
Chez Richard Mille et Officine Panerai, la typographie fait partie intégrante de la signature de marque
À l’inverse, chez Breitling et Hermès, la typographie peut varier en fonction des modèles

Audemars Piguet

Sans empattements pour maximiser leur lisibilité en petit corps, les chiffres sont étroits, rapprochés et fermés. Dans la plupart des modèles, le chiffre se fait discret, méticuleusement aligné dans le prolongement des index, pour ne pas perturber l’équilibre graphique caractéristique de la marque entre les index et les vis.

Breitling

De par leur profusion et leur forme basée sur un rectangle aux coins arrondis, les chiffres Breitling évoquent un tableau de commande aéronautique. Plusieurs modèles utilisent en complément de très grands chiffres de la gamme des « stencil », dont les gouttières très caractéristiques permettent de découper les caractères pour en faire des pochoirs. Ce procédé de marquage au pochoir est notamment très utilisé par l’armée, et ce sont ses qualités de fiabilité et de robustesse que Breitling convoque à travers ce choix typographique.

Hermès

Chez Hermès, c’est l’audace qui prédomine. Le choix typographique est totalement décomplexé, c’est un élément de mode qui donne à chaque modèle sa singularité. J’en veux pour preuve le modèle Slim, dont les chiffres, dessinés par Philippe Apeloig, comportent des « lignes parfois interrompues, espaces silencieux dans le dessin, qui figurent la cadence du temps ».

Panerai

Chez Panerai, les chiffres sont géants, comme un sous-marin et les océans qu’il sillonne, ce qui permet de mettre en valeur leur aspect ouaté. Tout dans leur forme est atténué, de leurs terminaisons rondes (le bas des 1, par exemple), à la légère courbe dans la diagonale du 2 : on peut immédiatement entendre le son déformé des grandes profondeurs. Fait remarquable, le style « pochoir », dont il était déjà question chez Breitling, est ici réinterprété d’une manière particulièrement douce, puisque les 6 et les 9 sont ouverts plutôt que coupés.

Richard Mille

Chez Richard Mille, le chiffre est totalement anguleux : pas la moindre courbe en vue. Les terminaisons ont même des angles extrêmement aigus, à mettre en relation avec le côté pointu de la marque. Le contraste entre les pleins et les déliés est lui aussi poussé à l’extrême : chez RM, tout est dans l’équilibre entre impact et finesse, la tension de la performance est palpable. À noter, la prédilection de la marque pour les chiffres de style « outline » (en filet) à mettre en rapport avec son intérêt pour l’exploration du lien entre l’intérieur et l’extérieur de la montre.

Depuis l’invention de l’imprimerie vers 1450, la typographie a accompagné toutes les évolutions de notre société. Par le truchement de nos références culturelles communes, elle permet de convoquer des valeurs fortes qui renforcent le positionnement des marques horlogères.